Arrêtons de stigmatiser les musulmanes voilées en Suisse!
Réagissant à l’article de Mireille Vallette qui défendait l’interdiction du voile intégral au Tessin, Pascal Gemperli, président de l’Union vaudoise des associations musulmanes, renverse l’argument: interdire aux femmes de se voiler si elles le veulent, est-ce cela la liberté et l’émancipation?
Dans son article «Le niqab au Tessin: nos valeurs avant le tourisme» (LT du 2 avril 2015),Mireille Vallette s’interroge sur la primauté de nos valeurs, qu’elle semble considérer comme homogènes, face au port du voile et du niqab.
Concentrons-nous ici sur le voile, le niqab n’étant pas considéré comme une tradition islamique pour la quasi-totalité des musulmans. Il convient tout d’abord de mettre en cause l’idée de l’unicité des valeurs en Suisse. Cela se confirme quatre fois par an lors des votations populaires. Même la liberté des femmes n’y échappe pas. Le droit de vote des femmes existe depuis quarante ans en Suisse – rappelons en passant que la plupart des pays majoritairement musulmans l’ont connu bien avant – mais dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures, le Tribunal fédéral a dû l’imposer contre la majorité de la Landsgemeinde en 1990. Espérons que les musulmans ne se référent pas aux valeurs appenzelloises concernant le rôle des femmes.
Certains exigent des musulmans de respecter, en plus du cadre légal, les us et coutumes suisses. D’accord, mais lesquels conviendraient le mieux? Ceux de Genève, de Lausanne, de la Broye vaudoise ou d’Appenzell Intérieures, ou plutôt ceux du plus grand parti suisse qui veut restreindre l’application des droits humains en Suisse?
Mais Mme Vallette a raison sur une chose: la liberté des femmes, acquise en Suisse, doit être défendue. Malheureusement, elle se trompe sur la démarche en prenant pour cible les femmes voilées, ce qui produit l’effet inverse à celui escompté. Elle semble vouloir restreindre le droit de porter le voile pour les femmes musulmanes, le considérant comme contraire à la liberté des femmes. Mais est-il vraiment libéral de vouloir restreindre une liberté fondamentale constitutionnelle, celle de pratiquer sa religion? N’y a-t-il qu’une seule manière de vivre sa liberté, qui serait celle proposée par Mme Vallette? Vouloir imposer son point de vue aux autres ne me semble ni bien suisse, ni libéral, mais dogmatique. Dans ce sens, ma position, mal comprise par Mme Vallette, n’est pas pour le port du voile mais pour le libre choix de l’individu. C’est une nuance très importante. Il ne peut y avoir de contrainte en religion: ni pour, ni contre.
Certains nous expliqueraient que le port du voile ne serait pas prescrit dans le Coran. Proposeraient-ils une lecture littéraliste du livre sacré des musulmans? Heureusement, les musulmans interprètent leurs textes fondateurs depuis bientôt 1500 ans. Si l’une ou l’autre de ces interprétations ne nous convient pas, acceptons du moins que même entre bons Suisses, tout le monde n’est peut-être pas non plus en parfait accord avec les points de vue et manières de vivre des uns et des autres. Cela ne doit pas nous empêcher de nous respecter mutuellement, avec nos différences. Respecter l’individu en lui accordant le libre choix et l’entière responsabilité de ses actes selon la croyance de son choix, n’est ce pas profondément humaniste?
Cela reflète également la position officielle de l’UVAM (extrait du site de l’association): «Il convient de noter que les femmes musulmanes sont plurielles et chacune construit son identité selon les choix qu’elle fait dans la vie. L’UVAM œuvre pour que la femme musulmane puisse trouver sa place dans la société selon ses propres définitions. Elle souhaite que les obstacles empêchant cela soient levés.»
Ces obstacles proviennent actuellement en grande partie de la stigmatisation et de la discrimination des femmes voilées. Elles sont regardées de travers dans les rues, elles peinent à trouver un emploi correspondant à leurs compétences et diplômes. Cela empêche leur développement professionnel et personnel. Elles sont réduites, aux yeux de la société, à un tissu d’un mètre carré porté sur la tête. Je n’y vois rien de libérateur, bien au contraire. La valeur de la femme libre ne peut se bâtir sur l’interdiction d’une autre liberté, à savoir la liberté de culte.
Notre communauté est sous pression: interdictions successives, discrimination, menaces et amalgames. Ce n’est pas la Suisse que je désire. En conséquence, certains membres de notre communauté perdent l’attachement à leur société, se réfugient dans leur référentiel islamique et se replient sur eux-mêmes. Ce n’est pas la communauté que je désire.
Certaines craintes de nos concitoyens peuvent se comprendre. Néanmoins, les réactions sont disproportionnées et discriminatoires. Ne nous référerons pas aux mauvais exemples dans une logique «œil pour œil et dent pour dent», par exemple en accusant des dictatures qui interdisent la construction d’églises. Restons plutôt un phare, illuminé par le respect d’autrui, des droits et des libertés fondamentales, de la gouvernance démocratique et participative, de l’épanouissement de la société et de tous ses membres. Les musulmans suisses sont attachés à leurs cantons et à leur Confédération, ils ne sont pas attachés à l’Arabie saoudite. Unissons-nous pour défendre et renforcer ensemble les acquis de notre société dans une période effectivement difficile pour tous.
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