Lettre ouverte à mes amis chrétiens : pourquoi je mentionne le terrorisme prétendument chrétien
Chers et chères frères et sœurs en humanité,
Le terrorisme prétendument islamique frappe en Europe,
encore et encore. Il tue aveuglement : des chrétiens, des athées, des
musulmans et tant d’autres. Mais peu importe l’affiliation des victimes, dans ce
combat contre le terrorisme nous sommes toutes et tous du même côté, nos larmes
remplissent le même fleuve triste.
L’insécurité et la peur génèrent le besoin d’être rassuré,
c’est humain. Les appels envers la communauté musulmane à se distancer
clairement de ces actes sont devenus de plus en plus fréquent, de plus en plus fort.
Ceux qui s’y opposaient au sein de notre communauté étaient et sont nombreux.
J’en faisais partie. Ils avancent deux raisons principales, premièrement :
d’un point de vue humain, nous ne pouvons pas nous distancer des attentats à
Paris ou à Bruxelles mais non pas de ceux à Ankara, à Beyrouth, en Syrie, en
Irak ou ailleurs dans le monde. Comment alors faire une sélection juste ?
Les quelles des victimes « méritent » d’être pleurées
officiellement ? La totalité et à chaque survenance étant une mission
impossible, la sélection serait de toute façon inhumaine. Et la deuxième raison :
pourquoi nous positionner par rapport à quelque chose qui n’a manifestement
rien à voir avec nous ? Pourquoi se positionner face à un crime que nous
n’avons ni commis, ni soutenu, un crime abominable qui nous frappe autant, si
ce n’est plus, que les autres? Ne
serait-il pas potentiellement contreproductif, voire dangereux, de créer un
lien qui n’a pas lieu d’être ?
En parallèle, la société majoritaire s’inquiétait de plus en plus, après chaque
attentat les appels se sont multipliés. Nombreuses discussions fort animées à
l’interne de notre communauté ont finalement aboutie à la décision - contestée par certains pour
les raisons ci-dessus - de calmer le jeu, de rassurer nos concitoyens, nos
frères et sœurs en humanité, de prendre nos responsabilités citoyennes. Nous
avons rejeté clairement et publiquement, à plusieurs reprises, les attentats
terroristes au nom de l’Islam, nous les avons déclarés comme anti-islamiques. Cette
pesée des intérêts a été faite dans ce sens par la totalité des acteurs
islamiques représentatif en Suisse, et probablement sur la planète toute
entière. Malheureusement, l’effet souhaité n’a pas eu lieu. Les appels à nous
distancer ont cessés quasi entièrement, mais les amalgames ont augmentés
considérablement. Et pire encore, ils sont devenus coutume jusqu’au cœur de la
société, jusqu’aux faiseurs d’opinion. Ce n’est plus Monsieur ou Madame « tout
le monde », mais des importants responsables politiques, certains
représentants des églises et parfois des journalistes qui proclament des
phrases comme : « entre l’islam et le terrorisme islamique ce n’est
pas une différence de nature mais de dégrée » (Kevin Grangier, secrétaire
général de l’UDC Vaud), « les musulmans font partie de la Suisse mais
l’islam non » (Gerhard Pfister, Président du PDC Suisse) ou
« distinguer islam et terrorisme est absurde » (Giuseppe Gracia,
porte-parole de l’Evêque de Coire). Il y en a tant d'autre et ceci encore sans parler des apparitions
médiatiques des soi-disant experts qui cherche avant tout de vendre leurs
livres islamophobes, profitant d’un vent « favorable ».
Les amalgames et la violence symbolique contre les musulmans
sont devenus socialement acceptable, j’y vois un véritable danger pour notre
société.
Que faire alors pour sensibiliser le public au fait que
notre communauté souffre tout autant de ce fléau que représente le terrorisme prétendument islamique ?
Que pour nous, les terroristes agissent totalement contrairement aux
enseignements et aux valeurs de notre religion ? Qu’il s’agit avant tout
d’un acte criminel sous camouflage islamique, lié à une guerre géopolitique,
d’une aspiration criminelle au pouvoir et à l’argent ? Tous ces arguments
ne tombent manifestement pas sur des oreilles attentives, les stéréotypes
semblent trop ancrés, la conscience trop brouillée par l’appréhension.
Par expérience, les arguments proches de la vie des
destinataires fonctionnent mieux. Quand j’explique qu’au niveau de l’importance
la fête de l’Aïd correspond à Noël, c’est compris. Quand je suis interrogé sur
« le fait » que l’Islam serait beaucoup plus visible dans l’espace public
que le Christianisme, les exemples prouvant le contraire comme les cathédrales,
les croix sur les montagnes, les fêtes de Noël à l’école et dans les magasins,
le son des clochés, les messes à la télé, etc., etc., c’est compris. En fait, c’est
l’habitude qui diminue la sensibilité… Mais il suffit de changer les
perspectives pour provoquer une prise de conscience. Pourquoi alors cette même
approche ne devrait-elle pas fonctionner pour le malentendu concernant le
prétendu terrorisme islamique ? C’est pour cette raison là - et seulement
pour celle-là - que je parle du terrorisme prétendument chrétien. C’est une
approche pédagogique par souci de paix sociale que j’avance un malheur pour
expliquer un autre, je le fais avec beaucoup d’amertume. Sachant qu’à part
certaines déceptions dues à une prise de conscience, la communauté chrétienne
n’en souffrira pas, mais que la souffrance de la communauté musulmane due à la
violence symbolique pourrait se réduire quand la marge d’argumentation des
démagogues se rétrécit. Je fais donc une nouvelle fois ma pesée d’intérêt.
Quand on apprend que le terrorisme prétendument chrétien est d’actualité à nos jours sur la plupart des continents et
qu’il est tout aussi dévastateur que le terrorisme prétendument islamique,
comment pourrait-on encore s’aventurer à amalgamer islam et terrorisme sans
abandonner son honnêteté intellectuelle ?
Pour conclure, chers amis chrétiens, chers frères et sœur en
humanité, je sais bien sûr pertinemment bien que le terrorisme prétendument
chrétien n’a strictement rien de chrétien. Resserrons les rangs, donnons la
même valeur à chaque vie humaine et dénonçons ensemble toute sorte de violence,
quelque soit la victime, quelque soit l’auteur. Ensemble pour la dignité
humaine et la paix mondiale, voilà une belle valeur qui nous réunit.
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