Etre Charlie ou ne pas l’être?

Article paru dans La Vie Protestante, Relier et Débattre, numéro 1, février 2015

Beaucoup d’analyse ont été faites depuis le 7 janvier dernier sur les causes du carnage qui a eu lieu à «Charlie Hebdo». Un tel événement ne peut pas être le résultat d’une seule cause. Les plus probables me semblent être les suivantes: la politique d’intégration visiblement ratée de la France, des banlieues sans dignité ni perspective; la dimension géopolitique et des pays occidentaux qui lâchent des bombes tous les jours tentant de couper la tête de l’hydra terroriste; et finalement l’état psychosocial d’âmes perdues dans une société où il faut être une star de télé. Et si ce n’est pas en chantant, c’est alors par un autre moyen…
Quid de la religion dans tout ça? Les chrétiens le comprendront très bien, un texte sacré peut contenir des passages difficilement compréhensibles dans notre ère. Un texte ne parle que par son lecteur, et c’est là où les raisons précitées prennent toute leur ampleur.
Notre communauté a été stupéfaite, triste et fâchée. Comment peut-on oser tuer des personnes comme vous et moi en invoquant Dieu et le prophète? Cette insulte à notre prophète est mille fois plus grave que les caricatures publiées par «Charlie Hebdo» dans le passé. Quelles seront alors les conséquences de cet événement considéré, par certains, comme le 11 septembre de la France?
Les faux stéréotypes et la stigmatisation vont encore certainement croître. La sécurisation et la surveillance, donc une entrave à nos libertés individuelles, se mettent déjà en place. En revanche, en ce qui concerne le travail de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM), nous constatons, qu’avec le recul, les medias sont passés à une phase d’analyse. Ils veulent mieux comprendre les choses, présenter les réalités des musulmans d’ici, ce qu’ils font et ce qu’ils veulent. Cela nous convient très bien, car c’est l’entre-connaissance qui crée la confiance.

L’effet paradoxal d’un drame
Dommage qu’il ait fallu un tel drame pour qu’on s’intéresse davantage à une communauté qui fait partie intégrante de notre société. L’intégration des musulmans en Suisse est réussie, à quelques exceptions près. Mais elle doit être réciproque et également se confirmer par l’attitude des concernés. Un jour, à court ou moyen terme, les responsables politiques de notre société, ainsi que les autres, nous considéreront comme «nos musulmans» et non plus comme «les musulmans». Ce sera un bon indicateur pour vérifier l’évolution de l’attitude de ces personnes envers leurs musulmans.
Mais revenons sur les caricatures. Nous respectons et défendons la liberté d'expression. Elle fait partie de nos valeurs. Elle permet le dialogue et la critique ouverte. Elle constitue donc un pilier de notre démocratie. Cette liberté inclut également la liberté de critiquer et de participer au dialogue sur nos valeurs communes afin de mieux nous comprendre. Ainsi, nous désapprouvons toute humiliation collective d'une communauté religieuse ou autre. Même une liberté légalement confirmée ne devrait pas, sur un plan éthique, servir à en humilier d'autres. Ceci contrevient à notre compréhension du vivre ensemble dans le respect d'autrui et le dialogue constructif.

Mieux dialoguer sur nos valeurs communes
Certains nous diront que les caricatures visent uniquement les individus ou groupement violents ou terroristes. Ce n’est pas ce que les musulmans ressentent et je pense qu’il y a des manières bien plus créatives pour le faire que de diffamer un prophète et ainsi toute une religion. Le fond du problème n’est pas de dessiner notre prophète. En revanche, le présenter comme terroriste, renforçant ainsi les stéréotypes, la méfiance et la stigmatisation de notre communauté, est inacceptable et a des impacts très négatifs pour vivre ensemble.
Ma critique se porte donc sur un plan sociopolitique et non théologique. Le temps n’est-il pas venu de renforcer le dialogue sur nos valeurs respectives et communes, ainsi que sur l'interdépendance entre liberté et respect? L’UVAM, et je pense la plupart des musulmans de Suisse, est partante. Qui d’autre prêterait sa parole?
En plus du dialogue sur nos valeurs qui permettrait d’accroître nos attitudes positives envers autrui, nous devons renforcer la coopération et la responsabilité corrélative sur un plan institutionnel. Dans plusieurs cantons existe la possibilité de reconnaître légalement des communautés religieuses en définissant leurs droits et devoirs. Une excellente occasion pour ficeler notre pacte sociétal.

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