Discours d'adieu à l'occasion de la fête de l'Aïd de l'UVAM

Tenu à l'occasion de la fête de l'Aïd de l'UVAM, le 10 septembre 2017
Mesdames et Messieurs en vos titres et fonctions,

C’est chaque année un immense plaisir de participer à cette fête, c’est l’événement incontournable pour les musulmanes et musulmans vaudois. Vous voir ici, avoir du plaisir c’est la plus grande rétribution pour notre travail. J’aimerais donc tout d’abord dire un énorme merci aux deux organisateurs principaux : Malika Souyad et Abdelaziz Khalfaoui, avec un tonner d’applaudissement.
Chaque année en écrivant ce discours je m’ordonne de rester que dans le positif, et chaque année je constate que c’est, hélas, impossible à faire. Chaque année je me sens obligé de vous parler également des choses difficiles et tristes.

Notre foi nous ordonne de combattre les injustices quelque soit l’auteur et quelque soit la victime, c’est la vision humaniste de l’Islam. Nous nous devons de combattre les injustices par les actes, si nous le pouvons, sinon par la parole ou sinon par le cœur. L’actualité, malheureusement, nous prêtes nombreuses opportunités pour le faire. Aujourd’hui, nous nous devons de penser particulièrement au massacre commit contre la minorité des Rohingyas en Birmanie. La consternation et la colère sont immenses face à des telles atrocités. Avec l’UVAM et éventuellement avec nos partenaires, nous sommes en train de réfléchir à des actions possibles en coopération avec notre mosquée des personnes originaires du Bangladesh. D’ici là, vous pouvez exprimer votre sympathie et manifester votre soutien auprès du stand à l’extérieure de la salle. Je vous propose d’observer une minute de silence pour les Rohingyas et toutes les personnes actuellement souffrant d’injustice dans le monde et vous prie de vous lever.

Mais attention, une quarantaine de grands conflits violents sont actuellement en cours dans le monde, cela sans compter les victimes de la famine, de l’exploitation capitaliste, de la dégradation environnementale et de toute autre sorte de violence structurelle, souvent invisible, mais meurtrière. Nous nous devons de penser à toutes ces victimes et les soutenir dans la mesure du possible quelque soit leur couleur de peau, quelque soit leur nationalité, quelque soit leur religion, le combat contre les injustices ne peut en aucun cas être sélectif. Il y a suffisamment de gens de toute couleur dans ce monde qui détruisent des ponts pour construire des murs, trop de gens qui tentent de diviser la fraternité humaine, la diviser en « nous » et « eux ». L’un de nos plus grands défis en tant que communauté musulmane d’aujourd’hui est la construction d’un « nous » collectif, un « nous » qui fait sauter les murs, un « nous » qui fait briser les chaines. Un « nous » qui nous permet de nous approcher de la finalité de l’islam : la paix. Cette paix, ce « nous », nous le construisons avec nos frères et sœurs chrétiens, avec nos frères et sœurs juifs, avec nos frères et sœurs de toutes les religions comme avec ceux sans affiliation religieuse. C’est ce « nous » social et interreligieux qui peut surmonter les fossés que les démagogues creusent sans cesse, c’est à nous de construire plus rapidement et plus solidement.

Dans le Canton de Vaud, l’une des actions fondamentale pour construire ce « nous » est l’intégration institutionnelle et juridique de notre communauté dans le pays de Vaud en pleine harmonie avec les autres communautés et la société. Depuis 2003, les autorités et le peuple vaudois ont mis en place la possibilité d’une reconnaissance d’intérêt public des communautés religieuses. En bref, c’est une communauté religieuse, en l’occurrence l’UVAM, qui participe au bien du Canton et au bien de toutes les vaudoises et de tous les vaudois qui peut recevoir une telle reconnaissance et se voire accorder un certains nombre de droits. Des droits qui seront d’une importance fondamentale pour poursuivre la construction de notre communauté. Mais avec ces droits, bien sûr il y a des devoirs. Pour les résumer, je me permets de piquer une formule utilisée par l’église catholique : « L’état respecte les communautés qui respectent l’état ». J’ai personnellement toujours considéré mon engagement avec l’UVAM comme un service à notre communauté et à la collectivité. C’est dans cette optique qu’il faut voir une éventuelle reconnaissance d’intérêt public de l’UVAM.
Mais tout ceci encore sans parler de l’importance symbolique d’une telle reconnaissance étatique, imaginez pendant 2-3 secondes, la communauté musulmane du Canton de Vaud reconnue par l’Etat pour l’intérêt public qu’elle apporte à la société….. n’est-ce pas du baume sur des cœurs blessés ?

Cela fait déjà plusieurs années que cette éventuelle demande de reconnaissance est débattue au sein de l’UVAM. En 2015, lors de la consultation dans le cadre des Assises de l’UVAM, vous avez exprimé à environ 90% votre souhait que la demande soit déposée la même année, donc 2015. Cette même année, lors d’une Assemblée générale extraordinaire en décembre 2015, les membres de l’UVAM ont décidé, à l’unanimité, de soumettre cette demande dès que possible. Nous avons laissé passer tranquillement les élections cantonales de printemps 2017 ainsi qu’une certaine initiative qui s’attaquait à cette reconnaissance. Et j’ai le grand plaisir de vous informer aujourd’hui que l’assemblage du dossier avance et que nous comptons soumettre officiellement cette demande à l’état de Vaud encore cette année, si Dieu le veut. Le chemin sera long, chers frères et sœurs, le chemin sera semé d’embûches et d’obstacles. Mais sachant que l’UVAM continuera son chemin, doucement mais sûrement, je suis convaincu que le dossier va passer, il va passer même la rampe d’un éventuel référendum populaire. Un référendum qui pourrait avoir lieu dans environ 10 ans. Mais déjà 2009 les vaudoises et vaudois ont rejeté l’interdiction des minarets et en 2017 l’initiative qui s’attaquait à la reconnaissance de notre communauté a été tué dans l’œuf par la population, les initiants n’ont même pas réussi à collecter les signatures nécessaires pour faire votre le peuple. En réalité, nous pouvons peut être même espérer de passer l’épreuve d’un référendum, vue d’aujourd’hui, il me semble tout à fait possible que les vaudoises et les vaudois confirmeraient la reconnaissance de l’UVAM, sous condition que nous continuons à être bon élève évidemment. Alors courage chers frères et sœurs, courage !

Comme vous l’avez peut être lu dans la presse, je quitterai la présidence de l’UVAM en mars 2018, ce discours est donc aussi une parole d’adieu de ma part. C’est un adieu entre rire et larmes. Larmes parce que le travail pour l’UVAM est extrêmement satisfaisant pour quelqu’un qui aime construire, construire institutionnellement une communauté religieuse dans le Canton de Vaud. Satisfaisant pour quelqu’un qui aime consolider la paix sociale et religieuse et satisfaisant pour quelqu’un qui aime voire sa communauté progresser continuellement et sur tous les plans. De pouvoir y contribuer est un privilège. Et c’est un adieu avec rire, parce que la satisfaction peut, par moments, être troublée par les défis auxquels est exposés notre communauté, de défis venant de l’extérieure comme de l’intérieure. Mais il faut aimer les défis et savoir qu’avec bonne intention et efforts fournis, Dieu se chargera du reste. Mais avec rire surtout aussi pour regagner plus de temps pour ma famille et pour développer mes propres activités. Après presque 10 ans d’engagement avec le Comité de l’UVAM le temps est venu pour moi pour rééquilibrer un peu les choses. Je crois que la limitation statutaire de la présidence à 6 ans est peut être aussi un peu pour protéger les présidents épuisés J

Certains expriment leur regret quant à mon départ, d’autres, peut être, s’en réjouissent. Dans tous les cas, l’alternance est une bonne chose, elle est profondément démocratique. Et la continuité de l’UVAM, de ses activités et de sa philosophie, est assurée par ses instances solides, indépendamment du serviteur à la tête. C’est inscrit ainsi dans les gènes de l’UVAM, comme disait récemment notre ami Timothée Reymond de l’Eglise évangélique reformée.
Je ne sais pas encore sous quelle forme je continuerai mon engagement, mais bien sûr je resterai fidèle à ma communauté et à mon Canton. Je suis immigré moi-même dans le Canton de Vaud, mais vous savez, être Vaudois ce n’est pas dans le sang, être Vaudois c’est dans le cœur.

Pour conclure, j’aimerais remercier du fond de mon cœur toutes les personnes qui ont contribué et qui continuent à contribuer à l’édifice. Tous les fidèles qui soutiennent l’UVAM et notre communauté et notamment nos sympathisants (si vous ne l’êtes pas encore, faites moi un cadeau d’au revoir, inscrivez-vous aujourd’hui), tous les responsables des centres, tous les imams, tous les accompagnateurs spirituels, toutes les personnes qui ont œuvré pour le secrétariat ou pour la comptabilité, tous les bénévoles lors des activités et fêtes, toutes les personnes qui étaient ou qui sont membres du Comité de l’UVAM, du Conseil de l’UVAM ainsi celles et ceux qui s’engagent pour les nombreux projets et activités de notre communauté, et avec un encouragement particulier pour nos jeunes, engagez-vous ! Vous n’êtes pas bienvenus, vous êtes désirés. Votre communauté a besoin de vous. L’UVAM c’est vous toutes et tous, l’avenir de notre communauté c’est vous.

Mais ma plus grande gratitude va envers ma famille, ma femme, Khaoula, et mes deux filles. Vous êtes les piliers de ma vie et même si, souvent, je flotte loin, vous restez mon centre de gravitation. Tout ce que je souhaite c’est que mes filles puissent grandir en sécurité en justice et en paix. Qu’elles seront appréciées pour ce qu’elles font et pour ce qu’elles sont, sans préjugés.


Vive notre communauté, vive l’UVAM, vive le Canton de Vaud.

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