Comparer des pommes et des poires (dans la comparaison des religions)
Publié en allemand dans "Schweizerische Kirchenzeitung" 27-28/2017
Même les médias du service public désignent souvent l’islam comme la troisième religion
de Suisse. Cela relève d’une faute méthodologique grave, dont les présupposés
nous permettent cependant de mieux saisir une grande partie des malentendus
récurrents sur le sujet.
Non,
l’islam n’est pas la troisième religion de Suisse après le catholicisme et le
protestantisme. Pour le premier, on parle effectivement d’une religion, dans
les deux autres cas, il s’agit par contre de deux confessions différentes de la
même religion. On compare de pommes avec des poires. On devrait donc le
formuler ainsi de manière plus exacte : l’islam est la deuxième religion
de Suisse après le christianisme.
Pour
quelles raisons les différences plus ou moins subtiles des différents courants au
sein du christianisme sont-elles mises en évidence, et pourquoi n’en est-il pas
de même en ce qui concerne l’islam ? Je pars du principe qu’il s’agit simplement
d’un manque de connaissances.[1] C’est
ici précisément que, d’une manière très subtile et inconsciente, commence ce
que beaucoup de musulmans décrivent avec raison comme un amalgame. Beaucoup
trop de personnes en Suisse, des politiciens, des journalistes et autres
« faiseurs d’opinion » n’ont pas les connaissances nécessaires pour
rendre compte de la grande diversité au sein de la communauté musulmane.
„Un
père de famille musulman interdit à sa fille de participer à un camp scolaire“,
voici un titre de presse qui n’entraîne guère d’irritation chez la plupart des
lecteurs Suisse.[2] Effectivement, le titre
n’est pas inexact. Mais s’il était « Un
père de famille chrétien interdit à sa fille de participer à un camp
scolaire », il manquerait pourtant de manière évidente aux lecteurs et aux
lectrices les nuances essentielles : A savoir que le journaliste explique
à quel courant du christianisme cet homme appartient.
Idem
pour « Des chrétiens refusent la liberté religieuse et l’Etat de
droit », ou « Abus sexuels dans une communauté chrétienne ». Ce
sont tous des exemples réels en Suisse.
Les nuances manquantes
Une
des raisons du manque de précisions en ce qui concerne la communauté musulmane
est vraisemblablement circonstancielle : les rédacteurs n’ont pas conscience de l’importance de ces nuances,
respectivement de l’inexactitude méthodologique que leur omission entraîne.
Le
résultat qui en découle est l’imprégnation dans l’inconscient collectif d’une
image homogène de la société musulmane. En conséquence, l’ensemble de la
communauté musulmane devrait collectivement porter la responsabilité des
transgressions de chaque groupuscule déviant, ou, à tout le moins, est tenu de s’en
distancer explicitement.
Cela va
si loin que, par exemple, des représentants du christianisme politique, des
politiciens suisses de renom, se laissent aller à des expressions comme
« Les musulmans appartiennent à la Suisse, l’islam non », ou même que des
représentants de haut rang des Eglises voyagent dans un pays étranger afin d’y
signer avec des dignitaires de la communauté musulmane locale, un accord
concernant l’état d’esprit des musulmans suisses. Comme si ceux-ci n’avaient
attendu que cela pour - enfin - pouvoir
respecter les lois suisses. Pouvez-vous vous représenter à quel point cela est humiliant
pour le musulman suisse lambda, de devoir se distancer de la terreur et de la
violence ? Contrairement aux normes sociales et légales en Suisse, prévaut
ici la présomption de culpabilité.
Pourtant
il existe aussi des groupes terroristes qui s’autoproclament comme relevant du christianisme.
On pourrait citer les Anti-Balaka en République centrafricaine, le Front de
Libération Nationale de Tripura et le Conseil National Socialiste du Nagaland
en Inde, l’Armée de Résistance du Seigneur en Ouganda, ou divers groupes aux
USA. Les degrés de leurs crimes sont comparables à ceux du soi-disant « Etat
Islamique », allant des conversions forcées aux enfants soldats, des
attentats terroristes aux massacres, et des expulsions au cannibalisme. Il ne
viendrait à l‘esprit d’aucune instance représentative des musulmans suisses d’exiger
des chrétiens suisse une prise de distance publique de ces groupes. On pourrait
faire valoir que ces terroristes n’ont pas commis d’attaques en Europe. Mais on
pourrait également argumenter que les vies humaines partout sur la planète ont
la même valeur, et que nous devrions nous engager ensemble pour une solidarité
et une paix globale.
Des représentants représentatifs
Ceci
m’amène au dernier point. On entend encore et toujours exprimer le regret qu’il
n’y aurait, du côté musulman, aucun partenaire représentatif de la communauté
musulmane. C’est une autre fausse expression qui découle de la confusion déjà
explicitée, entre religion et confession.
Les unions cantonales des associations musulmanes représentent déjà une grande partie des communautés locales. Dans le canton de Vaud par exemple, nous représentons 17 des 21 mosquées, soit plus du 80%.
Les unions cantonales des associations musulmanes représentent déjà une grande partie des communautés locales. Dans le canton de Vaud par exemple, nous représentons 17 des 21 mosquées, soit plus du 80%.
A
notre faîtière Suisse, la Fédération des Organisations Islamiques de Suisse
(FIDS), qui représente presque tous les cantons ainsi que les associations
ethniques, sont rattachées plus de 200 des environ 270 mosquées suisses,
également donc vers les 80%. Or, il n’y a en Suisse aucune Eglise qui
représente un pourcentage aussi élevé des chrétiens. Il ne faudrait pas comparer
des pommes avec des poires.
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