Discours premier août 2018

Monsieur le Syndic, chère Municipalité, chères morgiennes, chers morgiens, Mesdames et Messieurs, bonsoir.

J’espère vous allez tous bien.

Quand j'ai demandé atour de moi qui était le public cible de ce discours, mes prédécesseurs - pour ne pas les nommer- m'ont dit c'est surtout le troisième âge, des familles qui n'écoutent pas vraiment, quelques conseillers communaux, des habitués et des touristes. Je ne vous cache pas que ça ne m'a pas vraiment aidé pour écrire ce discours. « Sois court » m'a t on dit, « sois court », les gens veulent surtout partir boire et manger... Permettez-moi tout de même de saisir l’occasion de ce privilège qui est la tenue du discours du premier août, de vous prendre juste quelques minutes et d’être un peu personnel.

Je travaille souvent avec des expatriés qui viennent en Suisse pour travailler, quelques mois, souvent plusieurs années, parfois ils restent. Et quand on parle du premier août, ils me disent :
« Oui, mais vous l’appelez comment cette fête ? »
Je dis : « Ben, on l’appelle premier août… et vu la date ça tombe bien… »
Ils demandent : « Mais, est-ce que cela correspond à une grande victoire militaire, à l’adoption d’une nouvelle constitution, à l’indépendance ? »
Je dis que « non, écoutez c’est trois responsables qui ont jugé utile de travailler ensemble, ils ont fait un PV de la séance et depuis on en fait lecture chaque année à l’occasion de la fête… ». Ceux qui viennent des grandes nations sont parfois un peu déçus, mais ils commencent déjà à mieux comprendre la culture suisse.

Mais qu’est-ce que nous fêtons au juste le premier août ? Pour moi, ce n’est pas seulement un événement du passé. Ce n’est pas seulement le serment du Grütli et le pacte dont certains mettent en doute sa véritable valeur historique.  Peu importe, je leur dis, peu importe. Nous fêtons toute une histoire, nous fêtons l’esprit helvétique, l’esprit helvétique qui est l’indépendance, la liberté et la solidarité dans la diversité. Depuis 1291, cet esprit, cette solidarité ont été confirmés à maintes reprises, on peut citer : la médiation de Nicolas de Flue, l’indépendance formelle de la Suisse négociée en Westphalie ; la reconnaissance de la neutralité Suisse négociée à Vienne ; la création de l’Etat fédéral; les deux guerres mondiales ou encore l’acceptation du nouveau canton du Jura. L’esprit helvétique.

La Suisse a toujours su intégrer et composer sa nation avec toute sa diversité, aussi grâce à ses liens forts avec l’extérieur, grâce à son intégration dans l’espace international et en s’appuyant sur les règles et le droit international. Car la solidarité, notre ADN, qui est mutuelle par définition, ne peut pas se déployer dans le repli sur soi.

Aujourd’hui, chers amis, nous célébrons notre appartenance à cette patrie.

Mais au-delà des événements que nous venons de citer, qu’est-ce que cette patrie ? Qu’est-ce que la Suisse ?

Laissez-moi-vous raconter une petite histoire personnelle.
Vous savez, pour le patriote que je suis, prononcer un discours de premier août, c’est un moment fort émotionnel. Même si j’ai l’habitude de parler devant des gens, là l’occasion change quand même considérablement la donne. Pas plus tard qu’hier ma femme me disait : mais calmes-toi, ce n’est pas ton premier discours. Ouaiiiis, mais c’est le premier août

La dernière fois que j’ai eu autant le trac que maintenant, c’était lors d’une présentation en tant qu’étudiant à l’HES à Yverdon, quelque mois à peine après mon arrivée en Suisse romande depuis la Thurgovie. Je suis venu avec l’aide d’une petite association qui avait comme objectif la promotion des échanges des étudiants. Ma mission « secrète » était alors d’établir notre association à l’HES d’Yverdon. J’ai donc voulu la présenter à l’Association Générale des Etudiants. J’ai fait une demande et dans ma tête, j’allais la présenter au Comité pour en discuter de manière informelle avec 3-4 personnes. Quand j’ai reçu l’invitation pour la présentation, j’ignorais, avec mon niveau de français encore très, très, très basique, j’ignorais qu’Assemblée générale ne voulait pas dire séance de Comité. Je me suis donc retrouvé devant un amphithéâtre plein à craquer avec je pense facilement 300 ou 400 étudiants et sans aucune possibilité de me rétracter, et je me souviendrai toute ma vie des mots de l’ancien Directeur Künzle qui - pour sauver ma peau - a dit aux auditeurs tout de suite après ma présentation : « je serais très content si vous aviez tous en allemand le niveau que M. Gemperli a en français. ». Cette séance-là, j’ai compris qu’il allait falloir beaucoup plus rapidement apprendre cette langue...

Oui, moi qui suis Suisse, j’ai fait mes débuts comme un immigré dans le Canton de Vaud.

Mais alors qu’est-ce que la Suisse ?

Les citoyens de ce pays ne partage ni la langue, ni la religion, ni la mentalité. Qui de vous dirait qu’un morgien partage la même mentalité avec un habitant de Herisau ? Déjà la prononciation Herisau. Vous voyez où c’est ? C’est la capitale du Canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures.

En Suisse, entre compatriotes nous ne partageons même pas la lecture de notre histoire commune. Vous savez, quand j’étais encore en Suisse allemande, j’avais un avis tout à fait courant dans cette partie du pays sur Napoléon, c’était très clair, c’est l’envahisseur, le colonisateur, l’ennemi numéro 1. Mais quand je suis venu dans le Canton de Vaud…, les gens étaient beaucoup plus relaxes quant à l’empereur. Je me disais que ça doit être la langue, la proximité culturelle ou que sais-je, jusqu’au jour où j’ai compris que celui que j’avais considéré comme colonisateur était en fait celui qui chassait les colonisateurs bernois du Canton de Vaud. Des Vaudois colonisés par des Bernois ? On ne l’avait jamais appris celle là à  l’école là-bas.

Mais alors qu’est-ce que la Suisse ?

Morges a été fondée par la maison de Savoie. Pas par Uri, Schwyz et Unterwald. Le Canton de Vaud, on vient l’entendre, a été occupé par les Bernois pendant plus de 200 ans.

C’est complexe, la Suisse. Ce n’est pas une nation majoritairement catholique italophone comme l’Italie, ou protestante anglophone comme l’Angleterre. La Suisse n’est pas une nation par définition identitaire. La Suisse est une nation de volonté. Le verbe qui définit la Suisse et ses habitants, ce n’est pas le verbe « être », c’est le verbe « vouloir ». On ne peut pas « être » Suisse tout court, il faut aussi et surtout « vouloir être » Suisse et vouloir contribuer à son succès et à sa cohésion.

Etre Suisse, chers amis, ce n’est pas une simple affaire de sang. Être suisse, être vaudois, être morgien, c’est avant tout une affaire de cœur.

Bon me voilà vers la fin de mon discours, comme premier citoyen de Morges depuis début juillet. Premier citoyen, ça fait un peu bizarre non ? Faut-il en déduire qu’il y a des deuxièmes, des troisièmes, des quatrièmes citoyens de Morges ? Et surtout, qui mérite d’être le premier ?

Bon voilà, formellement on dit que c’est le président du Conseil communal le premier citoyen, pourtant je n’ai pas l’impression de pouvoir…, commander le Syndic par exemple, ou bien ?
Oui, ma foi, je vais animer les séances du Conseil, je vais, avec beaucoup de plaisir, participer à des assemblées, des réunions de sociétés locales et des sorties, aller manger des petits fours. Mais très franchement, quand je regarde autour de moi, et que je vois toutes ces personnes engagées solidairement pour la collectivité, par exemple :
  • les bénévoles des associations qui accompagnent des personnes en précarité, qui protègent la nature, qui organisent des événements culturels, ce sont eux les premiers citoyens de Morges
  • les parents monoparentaux, qui galèrent tous les jours pour assurer l’avenir de leurs enfants, et
  • les employés qui assurent le bon fonctionnement de leur bureau et de toute leur équipe, ce sont eux les premiers citoyens de Morges
  • les entrepreneurs qui s’engagent et qui prennent des risques considérables pour nous assurer notre pain, notre comptabilité, notre installation xy, et qui en plus emploient des personnes, et
  • les artistes, les sportifs et les scientifiques qui font rayonner notre petite ville au-delà des frontières, ce sont eux les premiers citoyens de Morges.


C’est vous toutes et tous les premiers citoyens de Morges, vous, vous, vous, vous... C’est donc avec émotion et sincérité que je vous dédie, chères morgiennes, chers morgiens, le titre de premier citoyen de Morges. Parce que c’est vous Morges, et c’est vous la Suisse. La Suisse c’est toutes celles et tous ceux qui la composent et qui la célèbrent en assurant sa cohésion.

La fête du premier août elle est en votre honneur. Bonne fête et que Dieu vous protège.

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