La publicité mensongère ou pourquoi le Toblerone n’est pas « halal »

Le label « halal » du Toblerone défraie la chronique : un symbole suisse victime de l’islamisation rampante, rien de moins. Cette affaire est révélatrice de dévoiements et il faut l’analyser sur deux plans, celui de l’islam de la forme et celui de l’islam du fond.

Sur le premier, celui de la étroitesse de l’islam de la forme, on constate une tendance auprès de certain/es à vouloir halaliser à outrance la vie, les comportements, la nourriture, etc. Cela reflète une recherche de pureté basée sur une vision trop binaire, voire manichéiste du monde - le halal et le haram, le bien et le mal – qui laisse peu de place à l’ambigüité et donc à la diversité.
Je pense en plus y reconnaitre un réflexe identitaire, une tentative de protection communautaire dans un environnement considéré comme (potentiellement) hostile. Pourquoi sinon la même personne se procure-t-elle sans hésitation des produits, par exemple le vinaigre (à base d’alcool), dans son pays d’origine majoritairement musulman, mais qu’une fois arrivé en Suisse elle le refuse et cherche un avis religieux pour un acte qui faisait auparavant partie des habitudes quotidiennes ? On observe la même tendance pour l’achat de produits importés dans certains pays majoritairement musulman. Un produit qualité Suisse labellisé halal, quoi de mieux !? Cela augmente le chiffre d’affaire à l’export, une approche toute à fait compréhensible d’un point de vue économique, ce n’est peut être même pas la peine de s’exciter plus que ça : Toblerone est maintenant halal – et puis ?[1] Ainsi, les dérives des identitaires à l’autre spectre des extrêmes sont également blâmables. Bafouer nos valeurs, symbole de soumission, appels au boycott, qu’est-ce qu’on n’a pas pu entendre par rapport à cette labellisation. Quand allez-vous enfin comprendre que la manière orthodoxe de pratiquer l’islam fait tout autant partie de la Suisse que la manière orthodoxe de pratiquer n’importe quelle autre religion helvète ? L’islam sous toutes ses formes fait partie intégrante et constitutive de la Suisse, ni plus, ni moins que les autres, Amen.

Toblerone s’est donc fait certifier halal, soit. Mais je doute fort que ça soit fait dans la logique de l’islam de la forme seulement, l’islam de l’apparence dans une logique de stérilité et d’asepsie. On imagine, par exemple, qu’il n’y a plus de produits de nettoyage à base d’alcool utilisés pour le nettoyage de la ligne de production, que des imams viennent vérifier la conformité, etc… l’islam de la forme, ma foi. Les musulmans que je connais, pratiquant ou pas, mangaient sans autres les Toblerones, mais faudrait-il donc tout un coup s'en méfier ? Le chocolat Suisse ne serait-il plus considéré halal sans la certification respective ? Avec cette pratique, Toblerone alimente donc, et c'est le cas de le dire, une vision binaire, manichéiste du halal et du monde…Même pour le chocolat il faudrait maintenant assurer l'isolation stérile des habitudes communautaires.

Mais quid du fond, quid de l’éthique islamique ? Qu’est-ce que le halal alimentaire selon la noblesse de l’islam du fond ? Pour y répondre, il faut revenir sur les véritables valeurs et sur l’éthique islamique. Dans le cadre commercial et industriel, dont fait partie la production alimentaire, il s’agit d’assurer la justice sociale pour tout un chacun ainsi que la protection environnementale pour préserver la création. Afin d'assurer une production véritablement halal au niveau de la forme ET du fond, il est donc indispensable d’assurer les principes du commerce équitable, des conditions d’emploi dignes, de la bonne gouvernance et de la transparence, de l’approvisionnement durable en matières premières ou encore d'un processus de production respectant l’environnement.

En ce qui concerne la production des Toblerones, nous apprenons que dans le passé l’entreprise a été accusée de bénéficier du travail des mineurs[2], de refuser l’utilisation du label nutritionnel Nutri-score[3], de prendre ses distances avec le label Fairtrade[4] et que le groupe Mondelez, propriétaire de Toblerone, utilise de l’huile de palme non-durable.[5] La plateforme rankabrand déconseille l’achat des Toblerones à cause de leur manque de transparence concernant leurs efforts en matière de durabilité.[6]


Globalement, on pourrait dire qu’il y a des exemples d'entreprises bien pires en matière de respect des valeurs susmentionnées. Néanmoins, la noblesse de l’éthique islamique et de son label halal ne sont pas à prendre à la légère. Je conclurais donc pour moi-même que Toblerone fait preuve d’insuffisances sur le plan de l’éthique islamique et ne devrait donc pas porter le label halal mais que ceci ne devrait pas impêcher les musulmans qui l'ont toujours fait de savourer la fameuse barre triangulaire ;-)




[1] Toblerone ist jetzt halal – na und?, NZZ, 17.12.2018: https://www.nzz.ch/schweiz/toblerone-ist-jetzt-halal-na-und-ld.1445569
[2] https://stopthetraffik.wordpress.com/2012/08/21/we-want-a-traffik-free-toblerone/
https://www.dailymotion.com/video/xkw12e#.USVqgvIlxIs
[3] Le Monde, sciences et médecine, 21/2/2015
http://theconversation.com/logo-nutritionnel-pourquoi-certains-industriels-font-de-la-resistance-87424
[4] https://www.independent.co.uk/news/business/news/chocolate-fairtrade-labels-mondelez-cadbury-toblerone-unilever-tea-liptons-pg-tips-a7928421.html
[5] https://www.greenpeace.fr/espace-presse/huile-de-palme-fabricant-biscuits-oreo-lie-a-destruction-de-lhabitat-orangs-outans-indonesie/
[6] https://rankabrand.org/chocolate-brands/Toblerone

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